Lyora est de nature curieuse, mais elle n’enquiquine pas les gens avec ses questions sauf quand cela est absolument pertinent, préférant aller droit aux sources pour filtrer les mutations et pertes du bouche-à-oreille. Elle est un peu effacée, mais sais taper du poing sur la table quand il le faut. Elle passe souvent son temps seule et peut paraître réservée, mais la présence des gens ne la dérange pas, et elle se montre souvent très aimable et conviviale, faisant d’elle la nouvelle-venue favorite à Junchy.

Certaines informations du monde au-delà de la Forêt Noire la surprennent encore : la première fois qu’elle vit une ampoule au travers de la fenêtre d’un citoyen maintes fois mieux nanti, elle faillit avoir une attaque d’apoplexie. Le jour suivant sa découverte, elle dénicha tous les livres sur l’électricité de la bibliothèque locale (un énorme décompte de 2 et demi) et les dévora sans merci. Elle passe aussi beaucoup de temps dans le Bric-à-Brac des frères Rubik, un magasin local qui vend entre autre des puzzles conçus par les esprits les plus tordus de Seraph.

Elle gagne son pain en tant qu’ébéniste, ayant travaillé le bois depuis sa plus tendre enfance. Elle est attristée par la basse variété d’arbres en dehors de la Forêt Noire, foyer des plus merveilleuses espèces du monde (et pour la plupart, les plus magiques), mais semble bien aimer le bois de rose et l’ébène. Elle s’est fait un atelier en louant une chambre divisée, dont l’une moitié a été agrandie par son pouvoir de modification spatiale, et elle conduit ses affaires è partir de l’antichambre, qu’elle a transformé en bureau (meublé par sa propre main).

Il est très difficile de la vexer, et presqu’impossible de la pousser vers l’offensive. Si par hasard on quelqu’un décidait de l’assaillir dans la rue, elle n’engagerait même pas dans une altercation physique : elle n’e possède pas de connaissances de combat au corps a corps – connaissances inutiles dans la forêt, quand les plus petits prédateurs sont des souvent des colosses de crocs et de griffes enflammées – et ne fera que fuir avec autan de grâce que de célérité. Si elle assiste à un assaut, cependant, elle utilisera tous ses pouvoirs pour mettre le plus de distance entre la victime et l’agresseur, et si possible, pour immobiliser l’agresseur jusqu’à ce que les autorités puissent prendre la relève. Ceci ne lui est arrivé qu’a deux reprises, mais elle pense que c’est déjà bien trop pour quelqu’un qui essaie de vivre sans faire de vagues.

Quant à son apparence, elle ne pense pas qu’il y a beaucoup à dire. Cheveux blonds et ondulés avec un léger teint marin, des yeux pers, des traits fins, rien de trop spécial. De taille moyenne, cinq pied cinq pouces tout au plus, elle a une figure subtile, loin de cette mythique forme de sablier qui semble faire rage partout ailleurs (et donc nulle part d’important). Elle a développé un gout pour les robes d’été depuis sont départ de Saphren, mais il fait trop froid à Junchy pour en porter, et elle se limite donc a des pantalons en peau de daim et des chemises de couleurs forestières.

Les Étoiles de la Forêt Noire sont des petites communautés, analogues à des tribus par rapport à leurs nombres mais à un village par rapport à l’atmosphère. Ce n’est pas parce que l’on nait dans la 9e Étoile qu’on doit y mourir, et beaucoup de gens qui ne sont pas aborigènes de la Forêt viennent y passer le reste de leurs jours. La particularité de la vie dans une Étoile, c’est qu’il n’y a pas de particularité : chacune est différente, non seulement dans son architecture, mais aussi dans la philosophie derrière sa création.

Seuls sur des terres si austères, ceux qui s’y aventurent ne font pas bande à part pour très longtemps, et la première Étoile naquit de l’union de puissants mages ayant pour seul objectif l’élimination de cette vague historique de corruption née au cœur de la Forêt, celle que l’on appelle aujourd’hui la Pourriture de Koscheï. Le monde de Seraph en sait peu sur les détails de leur victoire, mais la contamination a bel et bien cessé en 4536. Depuis, les fondateurs de la Première Étoile ont été succédés par une longue lignée de fervents gardiens, défendant le monde d’une multitude de forces malsaines qui grimpent parfois hors des sombres abysses uniques à la Forêt.

540 ans plus tard, une jeune fille nait dans un des taudis de Raklun, et cent-huit vies s’éteignent là du même coup. Bien que reconnue pour ses échanges illicites de magies interdites, ce phénomène n’avait jusqu’alors jamais été observé. Ceux qui ont assisté à la mort soudaine de ces victimes disent tous la même chose : que la magie qui n’était alors qu’un outil prit un souffle de vie, tout juste avant de tomber dans la pire démence. Elles furent dévorées par leurs propres sorts, sorts qui prirent soudain des apparences difformes, monstrueuses, dont la nature même semblait muter. Les parents de cette fille surent alors qu’ils devaient fuir, avant que les maitres du Conclave de Raklun ne découvrent la raison de cette hécatombe surnaturelle.

Le père tomba le premier, dépecé jusqu’à l’os par les lames lugubres des leurs poursuivants. La mère parvint à les perdre à la lisière de la Forêt Noire, mais fût elle-même abattue par la faune locale. La nouvelle orpheline ne fit le moindre bruit, ayant été éveillée son premier jour à cet instinct qu’est la survie. Encore emmaillotée dans le châle ensanglanté de sa mère, elle rampa et rampa, ses grands yeux d’aigue-marine larmoyants mais marqués depuis ce jour d’une détermination sans égale.

Cependant, un poupon reste un poupon. Enchevêtrée dans un buisson, elle ne put que sangloter, se débattant sans comprendre la douleur et la perte qui étaient devenues son univers. Tous l’entendirent, mais pour la première fois depuis sa naissance, la chance lui sourit. Un vieillard, qui passait par là durant sa collecte journalière de bois, la prit dans ses bras, ébahi par la présence d’un nouveau-né abandonné sur des terres si austères.

La noirceur déjà omniprésente de la forêt tomba encore d’un cran, et la plus faible illumination ne provenait que de la gueule ardente d’un fulgurim, un des plus dangereux fauves originaire de ces terres sinistres, dit l’Ombre-Feu. Le vieillard fixa le prédateur d’un regard de jais, murmurant non pas les mots d’une invocation, mais des sons primordiaux qu’un simple homme n’aurait jamais dû avoir le droit de vociférer. Avec un vrombissement sourd, le soleil apparut sous la voûte des arbres, engouffrant d’abord le souffle glacial du fulgurim avant de le happer comme une vulgaire mouche.

Le vieillard, époustouflé par sa propre magie, ne lança qu’un regard confus au chérubin avant de comprendre. Sans plus tarder, il la ramena à la 47e Étoile, une des plus grandes de la forêt grâce à sa philosophie : « Ceux qui sont abandonnés, ici peuvent se retrouver ». Aussi vite qu’il fut venu, vieil homme disparut dans les bois.

12 jours plus tard, il revint à l’Étoile, dans sa main un joyau des plus rares : le pépin d’un fruit d’opalier, arbre rarissime qui ne fleurit qu’au centenaire. Les habitants de la 47e se précipitèrent sur lui, criant qu’il devait la reprendre, qu’elle était une abomination. Sans dire un mot, il prit le pépin, et l’inséra d’un coup sec dans le front du bambin, réduisant même les villageois apeurés à un silence horrifique. Au milieu de ses pleurs et de son sang, le pépin commença à rutiler. Après un cours instant, le sang cessa de couler, et le bébé tomba dans un sommeil des plus profonds. Étrangement, le pépin prit les couleurs de ses yeux, marque indélébile de leur nouveau lien.

À seize ans, elle quitta la 47e. À 20, la Forêt Noire, et à 22, Saphren même, pour s’établir a Junchy dans la contrée de Muhden. Elle ne parle jamais de sa vie dans ce monde clos, des gens qui l’ont élevée, des choses qu’elle a vues. Dans un moment de mélancolie, cependant, on l’entend parfois parler affectueusement de son père adoptif, de « papy» comme elle dit. Tout ce qu’elle sait, elle l’a appris de lui : l’histoire du monde, les mathématiques, diverse langues, ses manières, sa curiosité, son métier d’ébéniste, même ses pouvoirs secondaires.

- Et bien sûr, c’est aussi lui qui a choisi mon nom.

- Il sonne bien, le vieux : c’est pas tout le monde qui prendrait sous son aile un enfant abandonné. T’as de la chance, petite!

Lyora répondait souvent à ce genre de commentaire avec un sourire serein, et un léger hochement de la tête. Pour elle, il n’y avait rien de plus vrai.

- Et ton papy, il a un petit nom?

À cette question, une lueur chaleureuse emplissait toujours ses yeux.

- Oui oui, je l’appelle Coco! Il aime bien ça, plus que son vrai nom, il me le disait souvent… et c’est vrai que c’est bien moins chou, un nom comme Koscheï.

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