POKER FACE
Bharkan - Grand place
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Nous ne sommes jamais à l'abri d'un événement imprévu qui peu changer notre vie, qui nous dépasse et nous empêche d'envisager notre avenir. Naoklan s'en rendis compte ce jour qui lui avait pourtant semblé commencer si paisiblement.

Le marché était animé. Les bavardages, annonces des vendeurs, pas dans la rue, cris des enfants... L'odeur des produits alimentaires emportés par un doux vent, les stands de la parfumerie et du fleuriste qui embaumaient un savant mélange fruité... Tout était réuni pour faire oublier l'hiver qui venait de passé, une certaine chaleur revenait peu à peu et annonçait le commencement de la nouvelle saison. Les habitants accrochaient leur plus beau sourire à leurs lèvres loquaces, ils aguichaient les voyageurs venus d'autres régions pour acheter leurs produits.
Naoklan regardait cette scène avec amusement. En quatre ans il s'était accoutumé à l'ambiance de la capitale, mais il s'étonnait chaque année de ne voir le changement dans cette ville trop enjouée au début du printemps. Déjà les filles avaient revêtu de belles robes neuves à la mode de la capitale et les plus petits enfants courraient dans les rues, tandis que Naoklan observait le spectacle urbain. Il connaissait bien la technique des vendeurs pour attirer la clientèle et cette saison était idéale pour les ventes. Seulement il aperçut une dame assez âgée qui était assise seule, sur un tabouret au milieu de ses cerises multicolores. Plus loin, un marchand s’époumonait « Venez acheter mes fruits ! Les plus beau du pays ! Venez acheter mes fruits ! ». Le jeune homme descendit de son perchoir, un emplacement où il avait une vue sur l'ensemble de la place de Bharkan, et se dirigea vers le stand de la femme grisonnante. À son approche cette dernière lui lança un regard humide de joie. D'une petite voix tremblante et sûre elle lui demanda :

- En quoi puis-je vous aider, mon garçon ?

- Vos cerises ont capté mon attention et j'aimerais, si vous m'y autorisez, vous aider à les vendre.

Naoklan souhaitait renouer avec le commerce, entretenir les souvenirs de cette époque où sa mère avait besoin de lui pour ses tissus de qualité. Tout cela lui paraissait si loin à présent.

- Et bien, rien ne m'empêche d'accepter, mon garçon.

Elle fit un geste de la main et le jeune homme se glissa de l'autre côté du stand. Aussitôt il se mit à faire la promotion des cerises printanières. Il n'avait pas perdu la main en quelques années. Les passants s'arrêtaient au son de sa voix et emportaient des paniers entiers de cerises semblables à des perles rouges. Un homme, d'une trentaine d'années, examinait les bacs si minutieusement que la dame daigna lui accorder une attention singulière, à lui parmi la foule qui se pressait autour. Il resta ainsi jusqu'à la fin de la matinée, il ne resta plus que lui lorsqu'il fut temps de rejoindre les fours. La plupart des marchands remballaient et étaient pris par leurs marchandises ou le compte de la recette journalière.
L'homme finit par caresser son menton barbu et froncer les sourcils.

- Vous avez les plus terribles cerises que je n'ai jamais vu ! Croyez-moi, je m'y connais en fruits rouges !

Ces mots sonnaient tel un compliment. La vieille dame dévoila les dents qu'il lui restaient et replongea dans ses comptes. Parfois des billets passaient et repassaient entre ses mains crevassées comme la terre sèche de Marenk. Naoklan reporta son attention sur le spécialiste en fruit rouge encore en admiration devant les bacs de perles juteuses. Il n'avait pas affaire à n'importe qui, son pouvoir le prouvait ! Les informations affluaient : un brouilleur de sens,les personnes dans un rayon maximum de dix mètres perdaient leurs repères et étaient désorientés. Le niveau de maîtrise impressionna davantage le jeune homme. Si puissant... Il se lança dans un exposé sur la cerise noire et il s'interrompit.

- Est-ce vous qui les avez cueillies ?

- Non, monsieur, c'est la dame que vous voyez derrière.

- Pourquoi vends-tu ces cerises ?

En fait Naoklan ne le savait pas lui-même. L'homme détacha une cerise de sa queue et la fit disparaître dans sa bouche.

- Par altruisme je suppose, tenta-t-il tout de même.

Une explosion de rires rauques éclata à la figure de Naoklan. En effet, l'homme était incapable de comprendre le sens de ce mot absurde, encore une invention de l'homme pour s'attribuer une morale créée pour être mieux transgressée. L'homme rit de plus belle en marmonnant dans sa barbe des phrases indéchiffrables. Puis, survint le moment fatal : l'homme s'étouffa de rire avec un noyau de cerise sans doute coincée dans sa gorge. Sa figure devint aussi rouge que le fruit, ses veines violettes formaient des sillons, ses mains ses crispèrent autour de sa gorge, sa bouche imitait les carpes et il se dandinait sur place. Voilà à quoi ressemblait la danse de la mort ? Enfin, il tomba sur le sol de pierre. Son corps immobile était allongé sur le sol.

- Le dernier client est parti, garçon ? A-t-il payé ?

Naoklan observa longuement le silence. Alors, une poussière s’immisça dans le file de ses pensées et il comprit : il venait de participer à la mort d'un citoyen innocent, sans le vouloir. C'était la première fois qu'il tua un homme sans avoir sorti sa dague. Il n'en revenait pas.
La place se vidait, les marchands étaient pris par leur compte, la vieille dame léchait presque ses recettes et Naoklan admirait pensivement le cadavre qui jonchait la place de la ville. Qui pouvait être ce type pour mourir d'une telle façon alors qu'il était si puissant, comparable à un membre de guilde ?

© Nao~

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Après ce long silence intérieur, sa première réaction fut de vouloir cacher le corps. Mais où ? La place du marché était trop vaste et vide pour qu'il traîne un mort. Point négatif de la capitale, pensa-t-il. Rester ici n'était pas une bonne idée non plus. Alors qu'il réfléchissait à un moyen de se débarrasser de la dépouille, une ombre avançait sur le sol granuleux, elle couvrit bientôt la moitié du corps immobile. Un inconnu faisait face à Naoklan. Un homme, plus jeune sans doute, examinait pensivement la scène du crime. Rien ne trahissait ses émotions, cependant Naoklan se méfia ; ses cheveux rouges n'en étaient pas la cause, en revanche la puissance de son pouvoir dépassait de loin celle du mort qui l'avait déjà impressionné. Désagréger tout ce que l'on touchait, cool mais tout de même effrayant. Il testa la chair tendre d'un coup de pied. La conclusion qu'il en tira le fit rire aux éclats.
Calmer, il accorda enfin son attention à Naoklan et dit d'un ton grave :

- Dîtes-moi... Comment comptez-vous racheter la mort d'un de mes hommes ?

Un de ses « hommes » ? Son regard par rapport à sa victime changea. Il songea un instant qu'il pouvait avoir tué un esclave ou quelqu'un qui s'en rapprochait, et se rappela de son pouvoir – qu'un homme comme lui soit traité comme une chose paraissait impossible. Bien que l'identité de son homme l'intéressait, les lèvres de Naoklan étaient scellées, interdites, comme si l'assurance de l'inconnu l'y obligeait.
Ce dernier s'agenouilla et toucha l'autre. Allait-il réellement faire ça ici ? Tel un fil dépassant d'un tissu sur lequel on tire, ses vêtements se détricotaient et disparaissaient au fur et à mesure, et il en fut de même pour la peau et la chair rougeâtre. Il n'en restait plus rien, hormis son sang retenu par le sol qui avait commencé à l'absorber goulûment. Pourquoi n'utilisait-il pas son tour de passe-passe pour la sang ? L'inconnu se redressa et s'éloigna. Lorsqu'il vit que le jeune homme n'avait pas bouger, il lui fit signe de le suivre. Votre mère ne vous a-t-elle jamais appris de ne pas suivre les inconnus ? Naoklan n'en avait pas souvenir en tous cas. Il le rejoignit sans hésiter, toujours sur le qui-vive. Il le conduit dans une ruelle éclairée par la lumière du jour. Les deux hommes se tenaient côte à côte.

- Soyeux heureux, je vous invite à rejoindre ma guilde, en échange de sa pathétique mort... après, tout, ce sont les règles de chez nous. Tuer un chef signifie en prendre la place... et je dois avouer que c'est une mort bien sympathique que vous venez de m'offrir là. Quel maléfice avez-vous utilisé ?

Naoklan s'attendait à tout sauf à cela, surtout à Bharkam. Une proposition pour intégrer une guilde. Non, c'était plus qu'une obligation, il s'agissait d'une tradition incontournable, d'une « règle ». Il n'avait donc aucun de droit de refuser. Seulement, c'était la première fois qu'il rencontrait quelqu'un qui se souciait peu de la mort d'un membre de sa propre guilde, un chef qui plus est. Une attitude suffisante pour piquer la curiosité de Naoklan. Que l'inconnu crut qu'il ait tué cet homme au milieu du marché l'irrita, il avait assez d'expérience pour faire ce genre de chose discrètement, il n'était pas dans la coutume d'un tueur de pratiquer son œuvre dans un lieu publique à cause des nombreuses contraintes qui en auraient résulté.

- Je n'ai utilisé aucun maléfice.

Car il n'était tout simplement pas le coupable de ce malheureux accident, au regret de l'inconnu. Il donna plus d'information :

- La cerise qu'il a avalé en est la seule et unique responsable. Il s'est étouffé.

Il supposa que cela ne changeait rien au fait que sa guilde avait perdu un chef et qu'il lui fallait un remplaçant. Que ce titre lui revienne tenait du hasard, ou de la malchance. Une guilde... Naoklan ne s'était jamais intéressé à en intégrer une un jour. Accourir chaque fois qu'une personne fait appel à vous et tout ça pour sauver un idiot de chat coincé dans un arbre l'ennuyait profondément. Avoir la position de chef ne l'enchantait pas plus, gouverner les autres signifiait la fin de sa paisible vie et de son emploie du temps plutôt enclin à sa liberté. Il capitula en croisant le regard de l'inconnu.

- À quelle guilde appartenez-vous ? Et qui êtes-vous ? fit-il sèchement

S'il devait appartenir à la même guilde, autant en apprendre un maximum. Ce n'était pas le bon jour ni le bon moment pour mourir. Une mauvaise blague de ce qu'appelait sa mère « destin » ? Son frère aurait bien ri de le voir dans une telle situation.

© Nao~

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- Je suis Darkness Kress, Maître de la guilde Moonlight…Et l’homme qui n’est plus était le chef d’une des sections de ma Guilde. Un homme dont le sadisme était poussé à un art extrême. Il appréciait grandement les peintures à base de sang…et avait un coup de pinceau, je vous assure, divin.

L'homme aux cheveux rouges se lança dans une tirade véhémente à propos d'un certains chef. Naoklan avait déjà entendu parler de Windust et Heatime, des guildes puissantes, surtout la première, qui usaient de leur temps et leur force pour maintenir la paix à Seraph. Du moins, c'était l'image qu'il souhaitait véhiculer. Il voyaient ces guildes davantage comme un regroupement d'idiots naïfs et incapables qui ne se souciaient pas plus de de la pauvreté du Sud que des autres royaumes frontaliers. Marquer la mémoire de quelques petits criminels, sauver des chats errants, sourire sur leurs grands chevaux et faire du bruit... Voilà de quoi ils étaient capables. Ces gens du Nord, ils s'étaient accoutumés à vivre paisiblement, à tel point qu'ils avaient complètement oublié la misère qui régnait à Marenk, avec ses conséquences.

En revanche, il n'avait jamais entendu parler de Moonlight. Quant à Darkness Kress, ce nom lui était autant inconnu que celui de sa charmante voisine qui habitait en face de chez lui. Alors cet homme - étouffé, mort, bientôt enterré – servait de chef à cette fameuse guilde. Naoklan examina plus en détail son interlocuteur. S'il avait affaire à un fou, échappé de prison ? Comment savoir s'il disait vrai ? Il ne fallait écarter aucune possibilité. Sa main serra plus fort le manche de la dague, prête à l'emploi. Prévoir les mouvements d'un aliéné relevait de l'insouciance. Bien que le jeune garçon ne doutait pas de ses capacités, les pouvoirs de l'excentrique restait puissant, même pour lui. D'ailleurs, l'envie de poser sa marque sur ce corps le tentait. Mais la prudence s'imposait, surtout lorsqu'on faisait face à un type comme lui.

L'autre, gardant un résidu de folie dans sa voix, repris le sujet principal de la conversation.

- Je suis certain que vous trouverez ce que vous cherchez au sein de ma guilde…et puis, une place que nombreux rêveraient d’avoir vous y attend désormais.

Naoklan se souvint subitement de la raison pour laquelle ils se trouvaient en ce lieu plutôt étroit en cas de combat. Quoique que les murs proches permettaient certainement de rebondir et de rejoindre les toits de la ville, un sport que pratiquait quotidiennement Naoklan dans son enfance. En plus, le type prétendait savoir ce qu'il cherchait. Bravant son regard fou, il répliqua avec tout l'aplomb dont il était capable :

- Vous me demandez de remplacer votre chef pour ne pas entacher votre réputation quasi inexistante à cause de sa mort pathétique, parce que je me tenais au mauvais endroit au mauvais moment ?

Autrement dit le hasard, voire le destin pour les plus superstitieux.

- Et dans cet objectif, je devrais porter le poids de la responsabilité en m'accusant d'un assassinat que je n'ai pas commis ? Et en échange de ma coopération, je jouerais un rôle important dans votre guilde avec les privilèges appropriés ?

Il incluait également les obligations qui découleraient de sa décision. Longtemps il fixa l'inconnu, le « Maître » de Moonlight, la « guilde de l'ombre » comme il avait décidé de la surnommer. Ses doigts avaient relâché la pression qu'ils exerçait sur la dague. Certes il semblait fou, mais loin d'être dangereux. Il échangèrent lors d'une conversation muette, Naoklan le jugea et finit par briser le silence.

- Très bien, j'accepte. (Il ne se résignait pas, il profitait des avantages que lui offrait cette occasion) Je vous suivrai et remplirai les tâches du chef.

Il avait accepté avant même d'avoir un aperçu de son nouveau statut. Au moins il espérait que son nouveau « Maître » lui apporterait les informations essentielles. En acceptant, il avait intégré une guilde et abandonné en quelque sorte sa vie de totale liberté pour servir d'autres. Chef signifiait toutefois que lui aussi pouvait disposer de la liberté d'autres personnes. Les manipuler ne l'intéressait pas, leurs pouvoirs si. Faire parti d'une guilde pour quelqu'un comme lui – avec un tel pouvoir – lui était bénéfique. Une lumière intérieure s'alluma en lui, quelque chose s'était réveillé. Sa vie avait pris une direction différente en l'espace d'un étouffement et d'un échange bref. Une rencontre a le pouvoir de changer une vie. Naoklan, adoptant une stratégie plus amicale, rendit visibles ses paumes nues, signe de paix.

© Nao~

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« Parfait. Votre nom ? »

Le méfiance faisait parfois oublier les bonnes manières que sa mère lui avait difficilement enseigné. Il retira soigneusement le gant de sa main droite et serra celle de son nouveau maître, si l'on pouvait le désigner ainsi. Entre-temps ils avaient regagner la place complètement vide à présent.

« Behemoth Naoklan de Marenk. »

Le soleil éblouissait Naoklan dont les yeux étaient fragiles les saisons chaudes, l'ombre exploitait davantage ses capacités. Darkness Kress n'avait aucune estime pour l’ancien maître de guilde  Les méthodes s'accordaient généralement à l'objectif ultime d'une guilde, et celle de son prédécesseur lui semblait trop douce à son goût. Moonlight devait préférer le sang aux discussions inutiles. En effet, conquérir un immense territoire où les cultures rimait avec champs de bataille et stratégies sanglantes. Le mime se fichait d'étendre l'influence d'une guilde, mais si l'aider lui permettrait d'avoir accès à un nombre incalculable de pouvoirs intéressants alors il le ferait.
Les ennemis de Noaklan serait donc à présent des membres de Windust et des autres guildes aux valeurs trop pacifistes. Il tuerait des personnes qui ont sans doute déjà croisé son chemin. Son instinct allait reprendre le dessus et s'exprimer comme il le souhaiterait, sa dague ne serait plus une décoration à la ceinture. Lorsque que le maître de guilde évoqua la terre natale du jeune homme, ce dernier serra les points. Enfin une guilde qui agissait dans le sud !

« Hum... par où pour le transport magique vers Saphren ? Vous avez tué ma boussole après tout. »

Cet homme, paix à son âme, servait de guide en plus d'être un chef. Le jeune homme devait aussi payer sa dette envers cette perte ? Au moins son sens de l'orientation était bon, surtout de nuit, remplir cette fonction était à sa portée. Mais pourquoi souhaitait-il se rendre à Saphren ? Réponse évidente lorsqu'on se souvient de sa réputation, le « trône des vilains » comme il aimait l'appeler. Un endroit où les assassins, les voleurs, les truands se baladaient librement et où la débauche prenait son siège.

« Oh, et j'y pense. Vous êtes désormais le chef des Traqueurs, le Dernier Quartier de Lune de Moonlight. Félicitation. »

La légèrement de son ton réduisait l'importance de l’événement et troublait Naoklan. Rire ou pleurer, il se demandait quelle aurait été la réponse d'une personne ordinaire à une telle déclaration. Chef des Traqueurs, rien que ça... Quelque chose lui disait que son rôle consisterait à être l'ombre de la guilde. Mais en quoi consistait ce titre exactement ? Darkness était trop occupé à être perdu pour se préoccuper de ses questions visiblement. S'amusant de la faiblesse de son nouveau maître il accéléra le pas.

« Je vais vous y conduire. »

Ainsi ils rejoignirent le point de téléportation, vers Saphren. Naoklan gardait ses questions pour plus tard. Il abonnait précipitamment sa vie sans regret. La capitale ne lui manquerait pas et il était devenu quelqu'un. Le secret de l'assassinat involontaire par noyau de cerise resterait entre les membres d'un cercle fermé de la guilde, pour empêcher une hypothétique contestation contre cette nouvelle décision. Voici le chef des Traqueurs de Moonlight.

FIN

© Nao~